Abstract

Cet article examine de plus près une interpretation psychanalytique probable du film Toto le Héros : l’ordre du temps achronologique et les séquences rêveuses irréelles renvoyent à un traumatisme refoulé du protagoniste Toto dont ses désirs irréalisables se manifestent dans des fantaisies sur-réalistes. Ici, la conception cinématographique est aussi bien analysée que la composition d’images et le mouvement de caméra. Pour finir, nous localiserons la position du film à l’égard des surréalistes.

Table des matières

Le film Toto Le Héros de Jaco Van Dormael et le point de vue psychanalytique

Cette tragicomédie du réalisateur belge Jaco Van Dormael traite des mémoires de Toto qui vit dans une résidence pour les personnes âgées et qui pense d’avoir été confondu comme nouveau-né à l’hôpital.[1] Ici, non seulement la conception achronologique mais aussi les passages rêveurs présentent, selon la thèse, des concordances avec le mouvement artistique du surréalisme : en effet, ce style se caractérise entre autres par le fait que des écrivains, peintres et réalisateurs essayent d’exprimer l’inconscient humain,[2] sous l’influence de la première guerre mondiale[3] et inspirés par « L’interprétation des rêves » de Sigmund Freud.

Dans quelle mesure le film de Van Dormael peut-il être interprété à l’aide de « L’interprétation des rêves » et dans quelle forme s’y manifestent des procédés de style surréalistes ? Comme suit, quelques scènes clés seront soumises à une analyse convenante. Au-delà, la question sera discutée si nous pouvons considérer Van Dormael comme un successeur ou un critique du mouvement surréaliste.

La voiture rouge : le désir d’un objet selon Freud

Au début, le regard envieux par-dessus la clôture des voisins constitue une scène indispensable pour son problème d’identité : après avoir observé comment le petit Alfred a reçu une voiture jouet pour son anniversaire, Toto traverse la frontière de la propriété et raconte par conviction sa pensée : qu’on a confondu les deux après leurs naissance (00:09:36-00:10:40). A cause de la couleur éclatante de la voiture jouet rouge, il semble que le réalisateur signale quelque chose. De même, la couleur est reprise par les bonbons rouge vifs qui semblent briller dans la scène de meurtre au début, de même que dans quelques souvenirs sombres de Toto de son père (00:01:42 et 00:08:29-00:08:55).

Également, nous trouvons, directement avant ces deux scènes, des allusions aux rêves humains : Toto y est toujours montré comme un rêveur avec les yeux ouverts. Par conséquent, une analyse avec « L’Interprétation des rêves » paraît possible. Selon Freud, des désirs inconscients et refoulés se manifestent dans des rêves[4] ; dans ce contexte, des souhaits érotomanes sont projetés sur un objet concret. Selon cette théorie, la voiture rouge constitue un objet de désir que Toto ne peut pas recevoir. En outre, des désirs peuvent, selon Freud, se transforment en des agressions en cas d’une frustration immense.[5] Ces agressions apparaissent d’une part indirectement chez Toto quand il a l’intention de détruire le monde idéal du garçon voisin avec son récit et d’autre part dans la réaction violente d’Alfred. De plus, Toto veut le tuer jusqu’à un âge avancé comme il l’accuse d’une vie volée et, plus tard, de la mort d’Alice, sa sœur. Notamment, la couleur rouge des objets attire l’attention sur la possibilité que les désirs se sont métamorphés en agressions. Cette théorie sur les objets et les impulsions qui a été reprise par les premiers surréalistes[6] est aussi mise en scène dans Toto Le Héros.

Surtout dans la scène des voisins, la signification du regard voyeur est réfléchie typiquement : si le petit garçon n’avait pas observé ses voisins, il aurait probablement été épargné par le conflit d’identité suivant. Le regard par-dessus la clôture s’avère aussi difficile que son passage physique, à savoir comme un passage de la frontière au sens psychanalytique.

En outre, le contraste entre la clarté et l’obscurité a un effet surréaliste, comme le lieu idyllique des premiers souvenirs d’enfance qui sont remarquablement bien éclairés qui, s’affrontent aux prises de vues rapprochées sombres d’un Toto rêvant (p.ex. 00:06:02 ss., 00:09:07 ss. et 00:10:58 ss.). Cela peut symboliser la différence mise en évidence sans cesse par les surréalistes entre la clarté consciente et l’obscurité inconsciente.[7] Donc, l’idée de confusion se révèle comme une fantaisie selon Freud aux spectateurs attentifs. Le cadrage intérieur[8] qui fait paraître les petits bébés enfermés dans l’hôpital au début du film peut faire référence à ce contexte, qui caractérise implicitement les souvenirs de Toto comme des rêveries.

« La pendule fait tic-tac-tic-tic »: le traumatisme et l’hypnose

De la même facon, la mort du père dû à un accident d’avion constitue le deuxième tournant essentiel (00:12:43-00:17:19). L'éclaircissement de l’image pendant l’orage illustre une métamorphose d’un monde d’enfant intact et coloré en un monde sombre et problématique. La scène ou le père lui fait cadeau de sa montre-bracelet en guise d’adieu se manifeste comme une indication d’interprétation possible (00:14:43-00:15:23) : la montre symbolise l’ordre du temps et renvoie à la structure donnée par le père du point de vue du garçon. Dans une autre scène, le vers « La pendule fait tic-tac-tic-tic […]» (00:10:58-00:11:44) de la chanson «  Boum » de Charles Trenet, chantée par le père dans le film, transmet auditivement un ordre temporel dans une famille considérée comme intacte ; ce qui est souligné sur-réalistement par les tulipes qui se bercent comme un enfant en rythme dans le jardin de devant.

Ce contraste entre l’ordre temporel et l’achronologie qui caractérise le film représente visuellement l’importance des parents pour l’apprentissage des règles sociaux qui est inscrite dans la théorie de Freud, comme p.ex., selon lui, des impulsions congénitales régulées par l’éducation dans un sur-moi avec le but que l’enfant ne se retrouvera pas dans un conflit social avec son environnement.[9] Pourtant, le monde parfait d’enfant se brise à cause de la mort du père, ce qui est probablement symbolisé par le verre qui se casse par les ébranlements causés des avions de guerre (00:16:21 jusqu‘à 00:16:23). En raison des structures devenues caduques, aucun sur-moi régulant ou bien aucun moi intact et complet ne s’oppose aux impulsions dans la personnalité de Toto. Et donc, il n’est plus capable de contrôler ses rêves de jour et ses désirs.

De la même manière, le jugement manquant de la question ce qui est un souvenir et ce qui est une fantasie est typique pour les traumatismes refoulés selon Freud: « Die Konsequenzen für das Ich sind tatsächlich grundlegend: Das spätere Ich, das dieses unlustvolle erste Erleben erinnert, stellt eine falsche Verknüpfung her, eine falsche Behauptung auf. »[10] Comme la perception structurante de temps est disparue avec le sur-moi, tout se transforme en achronologie du point de vue de Toto. Cela devient une expérience visuelle pour le spectateur et s’accumule sur une visualisation de mémoires et de séquences rêveuses (de jour) irréelles (p.ex. à 01:16:19 quand le père et la sœur morts jouent de la musique dans un camion) ce qui fait remarquer les traumatismes refoulés à Toto et au spectateur.

Dans ce cadre, la caméra subjective du point de vue du petit enfant renforce l’empathie et l’identification avec le personnage dont le film porte le nom.[11] Le tournage en gros plan du Toto âgé allongé dans le lit (p.e. 00:02:40-00:02:54) suscite le même effet quand le spectateur est amené à proximité de son visage par zoom en avant. Grâce à ce tournage, le spectateur devient, pour ainsi dire, un psychologue qui écoute avec compassion Toto racontant librement et associativement ces mémoires et rêves.

Le film cinématographique comme rêve avec les yeux ouverts

À un autre niveau, le film réflète aussi son aptitude particulière pour la représentation de rêves surréalistes. Après tout, un tel film temporal et relevé de la chronologie permet particulièrement de rassembler des accumulations de rêves qui sont typiques pour les rêveries inconscientes selon Freud : par conséquent, les mélanges ponctuels significatifs qui montrent des problèmes psychiques refoulés[12] peuvent être réalisés parfaitement dans un film comme ils rendent visible des images (rêveurs) sorties de la tête, de l’imagination.

De plus, la salle de cinéma sombre elle-même ressemble à l’état de rêve selon les cinéphiles parce que les images y sont projetées à l’écran comme les images de rêves à l’intérieur des yeux fermés.[13] En relation, le fond noir au début du film (à partir de 00:00:01) évoque un état hypnotisé ce qui réfère à l’illusion d’une psychanalyse avec une pendule (de même que les expériences hypnotiques des surréalistes[14]).

Finalement, le coup de feu au début du film qui semble détruire le verre de la caméra clarifie avec une réflexion médiatique une rupture du mur entre le film et le spectateur (00:01:40) ce qui attire l’attention non seulement à la théorie de Freud du thanatos mais aussi à un contenu qui touche profondément.

Un portrait psychanalytique et une critique d’Hollywood

Dans l’ensemble, Toto Le Héros fait le portrait différencié et surréaliste de la vie psychologique d’un homme traumatisé : un souhait non-réalisé et refoulé d’une vie structurée et intacte se manifeste dans des images de rêves achronologiques qui sont confondus avec des mémoires. En plus, la blessure est mise en évidence par un moi de fantaisie héroïque qui semble à rétablir la structure perdue : Toto, le héros.

En addition, le doublement d’identité peut aussi thématiser le cinéma comme média puisque les fantaisie héroïques sont souvent mises en scène dans la soi-disant « usine à rêve » d’Hollywood. De ce fait, le film peut vouloir transmettre aussi une critique des épopées de héros irréalistes.

Notamment, Toto Le Héros codifié également une réflexion critique de ses racines surréalistes : les premiers surréalistes étaient aussi une génération traumatisée par la Première Guerre mondiale à tel point que leur art signifiait une expression de blessures psychiques. Donc, le film de Jaco Van Dormael ouvre plusieurs perspectives d’interprétation qui sont liées entre elles.

- Sabrina Saskia Jordt -

Ce texte d'étudiant a été réalisé dans le cadre du séminaire "Das BelgienNet III - das Filmland Belgien" (hiver 2022). Vous pouvez lire la version allemande de cet article ici.

Notes :

[1] Cf. Töteberg, Michael [ed.], Metzler-Film-Lexikon, Stuttgart: Metzler 2005, p. 643.

[2] Cf. Lommel, Michael (ed.), Surrealismus und Film: von Fellini bis Lynch, Bielefeld : transcript 2008, p. 7-8.

[3] Cf. SCHNEEDE, Uwe M., Die Kunst des Surrealismus : Malerei, Skulptur, Dichtung, Fotografie, Film, München : Beck 2006, p. 11-12.

[4] Cf. ZENATY, Gerhard, Sigmund Freud lesen : Eine zeitgemäße Re-Lektüre, Bielefeld : transcript Verlag 2022, p. 43-44.

[5] Cf. ibid., p. 44–45.

[6] Cf. SCHNEEDE, Surrealismus, p. 156.

[7] Cf. BIRO, Ada, Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, Paris : Pr. Univ. de France [u.a.] 1982, p. 93-94.

[8] Cf. Hamburger, Andreas, Filmpsychoanalyse : das Unbewusste im Kino – das Kino im Unbewussten, Gießen : Psychosozial-Verlag 2018, p. 179.

[9] Cf. ZENATY, Sigmund Freud lesen, p. 291.

[10] Ibid., p. 46. En français, cf. ibid. : « Les conséquences pour le moi sont effectivement fondamentales : le moi tardif qui se rappelle cette expérience morose établit une relation fausse, une affirmation fausse ».

[11] Cf. HAMBURGER, Filmpsychoanalyse, p 178.

[12] Cf. Spies, Werner [ed.], Die surrealistische Revolution : [anlässlich der Ausstellung "Surrealismus 1919 - 1944: Dalí, Max Ernst, Magritte, Miró, Picasso ..."]: Ostfildern-Ruit : Hatje Cantz 2002. p. 405.

[13] Cf. ibid., p. 404.

[14] Cf. SCHNEEDE, Surrealismus, p. 12.

Bibliographie

Biro, Adam, Dictionnaire général du surréalisme et de ses environs, Paris : Pr. Univ. de France 1982.

Hamburger, Andreas, Filmpsychoanalyse : das Unbewusste im Kino – das Kino im Unbewussten, Gießen : Psychosozial-Verlag 2018.

Lommel, Michael [ed.], Surrealismus und Film : von Fellini bis Lynch. Bielefeld : transcript 2008.

Schneede, Uwe M., Die Kunst des Surrealismus : Malerei, Skulptur, Dichtung, Fotografie, Film. München : Beck 2006.

Spies, Werner [ed.], Die surrealistische Revolution : [anlässlich der Ausstellung ‹ Surrealismus 1919 - 1944: Dalí, Max Ernst, Magritte, Miró, Picasso ... ›], Ostfildern-Ruit : Hatje Cantz 2002.

Töteberg, Michael [ed.], Metzler-Film-Lexikon, Stuttgart : Metzler 2005.

Zenaty, Gerhard, Sigmund Freud lesen : Eine zeitgemäße Re-Lektüre, Bielefeld : transcript Verlag 2022.

Sources audiovisuelles :

Toto Le Héros (1991, La Belgique). Réalisation: Jaco Van Dormael