Transcription d’un entretien avec la Prof. Sabine De Knop

Cet entretien se penche sur le multilinguisme belge, avec pour principal objectif d’examiner la perspective wallonne sur cette question, qui peut ensuite être contrastée avec celle de M. Vandenbussche obtenue lors de l’entretien avec le professeur d’origine flamande. L'entretien a abordé des sujets tels que l’impact de la langue sur l’identité, les mesures éducatives pour augmenter la popularité du néerlandais dans les écoles wallonnes ainsi que le Pacte pour un Enseignement d’excellence en Fédération Wallonie-Bruxelles, sa réception dans la population et ses chances d’aboutir. L'analyse de la transcription révèle les mentalités différentes des Wallons et des Flamands, le potentiel d’apprentissage de certaines méthodes comme l’immersion et le grand enjeu que pose la pénurie de personnel enseignant à la mise en œuvre du Pacte d’excellence.

L'entretien suivant a été réalisé en novembre 2024 avec la professeure Sabine De Knop, linguiste à l’Université de Saint-Louis à Bruxelles, et Dorothea Hepp, ancienne étudiante en Licence Études Européennes à l'Université de Paderborn. Il a initialement été réalisé dans le cadre du mémoire de Licence de Mme Hepp, mais sa transcription est désormais publiée sur BelgienNet avec l’autorisation de Mme De Knop.

Intervenants : SDK – Sabine De Knop, DH – Dorothea Hepp

DH : Bonjour Madame De Knop ! Je suis très heureuse que nous nous retrouvions ici aujourd'hui et que vous avez accepté cette invitation à mon interview. Votre expertise est vraiment une aide très précieuse pour moi et pour approfondir mes recherches pour mon mémoire. Donc, on l’a déjà mis au clair, on va enregistrer cette interview, si vous êtes d’accord.

SDK : Oui.

DH : Donc d'abord quelques mots sur moi : je m'appelle Dorothea Hepp. Je suis étudiante en Double Licence en études européennes entre Paderborn et Le Mans. Mon intérêt pour les études belges s’est développé pendant un stage dans la politique à Bruxelles pendant lequel je suis un peu tombée amoureuse de la ville et du pays. Au terme de nos études, nous devons maintenant écrire un mémoire de licence. Nous sommes libres de choisir le sujet mais ça doit être en lien avec un des divers domaines de notre cursus. Moi, j’ai choisi la linguistique. Pour que vous compreniez mieux pourquoi je vous poserai ces questions, j'aimerais vous donner un petit aperçu de mon travail. Donc le sujet c'est l'apprentissage du néerlandais en Wallonie, notamment après les changements du Pacte pour un Enseignement d'excellence. Et la méthode selon laquelle je travaillerai est une analyse de discours. Je l'ai déjà réparti en une analyse qualitative de trois articles de la presse wallonne qui traitent de l'enseignement du néerlandais en Fédération Wallonie-Bruxelles et une analyse quantitative d'environ 30 articles sur le même sujet.

SDK : Ah okay !

DH : Ensuite, la problématique qui est centrale à mon mémoire est la suivante : Dans le contexte de l'organisation institutionnelle et linguistique particulière de la Belgique, comment la presse wallonne porte-t-elle un jugement sur l'apprentissage du néerlandais en Fédération Wallonie-Bruxelles, notamment à l'égard du Pacte pour un Enseignement d'excellence.

SDK : D’accord. Un beau sujet.

DH : Donc maintenant, vous comprenez un peu mieux de quoi traite mon mémoire. Si vous me permettez j'aimerais brièvement vous présenter aussi. Donc, comme j’ai appris, vous êtes professeure de langues germaniques à l'Université Saint-Louis à Bruxelles. Et vous vous êtes spécialisée, entre autres, en linguistique cognitive, l’apprentissage et l’enseignement des langues étrangères ainsi que les différences entre les langues germaniques et les langues romanes. Et si c’est en ordre pour vous, j'aimerais vous interroger aussi sur vos origines, d'où vous venez en Belgique et peut-être avec quelle langue vous avez grandi ?

SDK : Voilà, donc je suis belge. Je suis née à Bruxelles, mais j'ai habité à Dilbeek. C'est juste derrière le "ring" de Bruxelles. Mais on était toujours orienté vers Bruxelles. Ma langue maternelle, c'était le français. Ma maman était pure wallonne. Elle ne parlait pas un mot de flamand, donc pas un mot de néerlandais. Et mon papa était dans ce qu'on appelle à Bruxelles un « zinneke ». En fait, c'est du dialecte pour qualifier un petit chien de rue qui courait dans les rues de Bruxelles. Par métaphore, on désigne ainsi des gens qui sont à la fois francophones et flamands. Donc mon papa était tout à fait bilingue. Son père était d'origine flamande mais sa femme, donc ma grand-mère, était wallonne. Ils parlaient à la maison le français mais ils habitaient déjà à Dilbeek, qui est, en fait, en Région flamande. Il y a quand même 45% de francophones qui habitent à Dilbeek et c'est très proche du centre de Bruxelles. A la maison, nous parlions le français. Alors, je suis l'aînée de 5 enfants et nos parents ont voulu qu’on soit bilingue à Bruxelles. C’est pourquoi ils nous ont mis à l'école maternelle et primaire flamande du village. Normalement ce n'est pas accepté, ce n'est pas possible. Après, mon père était enseignant dans une école francophone à Bruxelles et à partir de la deuxième ou de la troisième année primaire, il nous emmenait à Bruxelles dans une école francophone catholique. Les écoles catholiques étaient les écoles avec une excellente réputation. Voilà ! Donc, j'étais déjà bilingue. Du coup, ça a été une facilité de connaître le français, ma langue maternelle, mais aussi le flamand, une langue germanique. Pour l'apprentissage de l'allemand – parce qu'il y a beaucoup de gens qui m'ont demandé comment est-ce que tu as appris l'allemand – ça m’a beaucoup aidée de connaître le néerlandais. J'aimais vraiment bien les langues. A l’école, j'ai d'abord eu le néerlandais, puis l’anglais, puis l’allemand.

DH : Je trouve ça très intéressant que vous ayez suivi un parcours multilingue dès le début, on pourrait dire, et que vous êtes un peu l'exemple d'une Belge qui, heureusement, parle toutes les langues du pays.

SDK : Peut-être encore un élément supplémentaire, juste parce que c’est intéressant. Comme je l'ai dit, normalement on ne peut pas changer de système linguistique dans son parcours à l'école, sauf dans les communes à facilités. Mais comme Dilbeek était flamand, il y a eu l’argument que nous étions trop petits - j’ai trois sœurs et un frère – pour nous rendre seuls dans une école francophone, donc à Bruxelles. Du coup, on a reçu la permission de passer les premières années dans une école flamande et changer de système scolaire après. J’ai trouvé cela assez positif. Bon, le passage de l'école de village à la grande école religieuse n'a pas été simple quand même. Mais bon, ça n'a pas vraiment posé de problème chez nous, je ne sais pas pourquoi. (rit)

DH : Et par curiosité, ce que vous avez appris dans l'école flamande, c'était le flamand, et non pas le néerlandais des Pays-Bas ?

SDK : Non c'est ça, le flamand. Ce qui était intéressant, petite anecdote : On recevait un bulletin chaque semaine. Et à la fin de la semaine, il y avait dans ce bulletin une note pour ce qu'on appelait algemeen beschaafd Nederlands. En fait, c’est comme en allemand, la Hochsprache. Comme j'apprenais le flamand à l'école, j'avais toujours le maximum de points. C'était toujours sur dix et j'avais toujours dix sur dix. Mais en fait, c'était une note parce qu’il y avait beaucoup d'enfants de paysans, donc c’était assez rural. Il y avait beaucoup d'enfants qui parlaient le dialecte et qui ne connaissaient pas le « bon flamand » et ils avaient souvent des notes comme des cinq sur dix. Moi, je ne comprenais pas pourquoi au moment même. Mais après j'ai compris puisque j'ai appris le flamand directement à l'école, au contact des autres élèves mais aussi naturellement des professeurs.

DH : Vous n’aviez pas cette influence de vos parents par exemple.

SDK : Non, c’est ça.

DH : D’accord. Intéressant. Merci beaucoup pour cette introduction.

SDK : Avec plaisir.

DH : Alors, Le pourcentage de personnes qui affirment aujourd'hui connaître la langue de l'autre région et à environ 75% en Flandre et seulement environ 20% en Wallonie. C'est une problématique qui est aussi connue des acteurs politiques, d'où une volonté de mettre sur pied des mesures qui combattent cela. C'est comme cela que je voudrais passer au Pacte d'excellence maintenant. Il existe déjà depuis 2014 et les mesures ont été mises en œuvre en 2017. C'est dans l'intitulé Tronc commun que nous trouvons des réformes dans l'enseignement des langues modernes. Il prévoit un apprentissage plus précoce de la première langue moderne, soit l'anglais, le néerlandais ou l'allemand, à savoir dès la troisième primaire au lieu de la cinquième primaire. Cette mesure est seulement en vigueur depuis la rentrée 2023-2024. L'apprentissage de la deuxième langue moderne – si n'est pas choisi auparavant – le néerlandais ou l'allemand, se fera à partir de la première secondaire au lieu de la troisième secondaire. Et c'est en 2022 que la ministre de l’Éducation de l'époque, Caroline Désir, a lancé un projet complémentaire. Ce projet prévoit l'obligation du néerlandais ou de l’allemand dans les communes à la frontière linguistique germanophone comme première langue moderne, repoussant donc le début de l'apprentissage de l'anglais à la première secondaire seulement. Le projet n'a pas encore abouti, mais il a tout de même provoqué de fortes réactions de la population wallonne et des médias. Donc, j'aimerais d'abord savoir : Qu'est-ce que vous pensez de cette mesure et approuvez-vous la mesure ou non ?

SDK : Bon, tu as bien compris qu’en étant bilingue, trilingue, quadrilingue, pour moi c'est clair ! Je ne comprends pas qu’en Wallonie on ait permis aux élèves de choisir par exemple l'anglais comme première langue étrangère. Et d'ailleurs, il y a des statistiques qui montrent aussi qu’un élève sur trois quitte la sixième secondaire et n'a jamais été en contact avec un mot de néerlandais. Je trouve ça aberrant dans un pays où on a plusieurs communautés linguistiques. La communauté germanophone est relativement calme et naturellement plus petite, mais les deux autres communautés, c'est incroyable. Donc, je trouve que naturellement, il faut apprendre la deuxième langue et d'ailleurs, à mon avis, encore plus tôt. Mais ça sera encore autre chose.

DH : Donc vous approuvez la mesure ?

SDK : Oui. Après, il y a le marché de l'emploi aussi. Les Wallons et les francophones râlent parce que la plupart des emplois, par exemple dans les administrations, sont occupés par des Flamands, qui souvent ne parlent même pas trop bien le français mais qui font l'effort de parler le français. Les Wallons n'obtiennent pas ces postes et puis après, ils râlent.

DH : Je comprends. Donc vous pensez que cette mesure pourrait vraiment améliorer aussi le niveau des élèves wallons ?

SDK : Oui, je crois bien.

DH : Okay. Donc, vous avez déjà dit qu’un avantage possible, ce serait au niveau du marché de travail, que la mesure augmenterait l'employabilité des Wallons. Mais est-ce que vous avez d'autres avantages que vous pourriez imaginer et, au contraire, aussi peut-être les défis que cette mesure apporte ?

SDK : Oui. Il y a d'autres avantages, bien sûr, parce que, disons, l’identité d'une personne ou d’un groupe de personnes passe nécessairement par la langue. Alors j'ai un petit exemple, encore une petite anecdote : quand j'étais plus jeune, j'avais rencontré une jeune fille qui était néo-zélandaise, sa famille provenait des Pays-Bas mais elle avait toujours vécu en Nouvelle-Zélande. Elle est revenue en Europe et elle a commencé à travailler à l'ambassade de Nouvelle-Zélande. À l'ambassade de Nouvelle-Zélande, tout se passait en anglais, mais je l'ai rencontrée, elle parlait le français, elle pouvait bien s’exprimer. Et puis après on s'est perdu de vue. Je l'ai retrouvée en Grande-Bretagne où elle vivait parce qu’elle voulait faire des études de médecine. Et à ce moment-là, on a communiqué en anglais. Pour moi, c’était une autre personne. Vraiment, il y avait un clivage là. Je l'avais rencontrée en français ce qui n’était pas sa langue maternelle. Quelque part il y avait peut-être des petites réserves, mais alors par ailleurs, en anglais, elle me donnait une autre impression, beaucoup plus intelligente, beaucoup plus au fait, etc. Comme quoi une identité passe nécessairement par la langue. Et je trouve que, quand on apprend l'autre langue, on comprend mieux le mode de fonctionnement des personnes qui parlent cette langue. C'est une autre culture et c'est un enrichissement.

DH : Je peux appuyer ça avec mes propres expériences aussi. Moi aussi, j'ai l'impression d'être un peu différente quand je parle le français, par exemple – pas une personne complètement différente, bien sûr. Mais c'est clair que dans sa langue maternelle on peut s'exprimer encore mieux et on a peut-être l'air d'avoir plus de confiance en soi.

SDK : Et ce qu’il y a aussi, c’est quand on parle des langues différentes, on a des perceptions différentes. Par exemple, je vis dans deux communautés. J’adore vivre en Allemagne. Il y a un tas de choses qui me plaisent beaucoup en Allemagne. Avec la langue aussi, je trouve qu’il y a beaucoup de choses qu’on peut exprimer en allemand qu’on ne peut pas exprimer en français. Avec le français aussi, par contre, il y a des choses que je peux exprimer, mais que je ne peux pas exprimer en allemand. Ça aussi, c'est un enrichissement de la personnalité en plus.

DH : Les raisons que l'ancienne ministre Caroline désir a toujours mises en avant, c'est d'abord l'employabilité des élèves wallons, qui seraient des adultes par la suite, et aussi une meilleure compréhension entre les Flamands et les Wallons pour renforcer l'avenir du pays en quelque sorte aussi.

SDK : Parce qu’il faut savoir aussi que, en fait, à l'origine le peuple flamand est un peuple plutôt, disons de paysans, donc qui venait plutôt de l'agriculture, etc. Et les bourgeois, c'était plutôt les francophones. Alors il y a aussi eu le problème que les bourgeois des grandes villes flamandes, comme Gand, Anvers, Bruges, etc., pour prendre distance, pour montrer qu’ils étaient supérieurs par rapport au bas peuple, parlaient le français. Mon grand-père m'a raconté que, par exemple, au service militaire, tous les commandements, toutes les instructions étaient données en français, même aux Flamands.  Et c'est vrai qu'il y a une certaine prétention de la part des francophones à dire « le flamand, qu'est-ce que c'est que cette langue ? », « Ce n’est pas beau » etc. En plus de ça, « Avec le flamand, on ne va pas très loin. Où est-ce qu'on parle le flamand ? Juste en Belgique, un petit peu aux Pays-Bas, où c’est le néerlandais. Tandis que le français c'est la "grande langue". » D'ailleurs, les francophones s’orientent plutôt vers la France (nouvelles à la télé française par exemple).

DH : D'accord. Donc ma prochaine question on y a déjà un peu répondu. C'était la question de savoir, selon vous, est-ce qu’un apprentissage plus précoce du néerlandais, pourrait-il avoir un impact positif sur la relation et la cohésion entre les Wallons et les Flamands ?

SDK : Bon, je pense que, là aussi, il faut voir un peu quelles sont les méthodes. Il faut des méthodes ludiques, en fait, pour montrer la beauté de la langue. J’essaie de le faire dans mes cours en allemand, les étudiants adoraient parce que j’ai aussi essayé de donner un éclairage culturel. Je leur ai montré des choses, des mots qui, par exemple, n'existent pas dans la langue française, parce que les réalités sont différentes, comme ein Strandkorb, die Trümmerfrauen, Trümmerliteratur, etc. Il faut essayer de rendre l’apprentissage vivant et que les élèves s'intéressent à des aspects culturels aussi, pas seulement apprendre la langue.

DH : J'allais justement aussi demander quelque chose sur les méthodes d'apprentissage. C'est intéressant parce que dans plusieurs articles dont deux des trois articles de mon analyse qualitative, il y avait cet aspect de « il faudra plutôt s'orienter vers l'immersion culturelle comme méthode d'apprentissage », c'est-à-dire à travers des éléments culturels comme vous venez de dire comme les films, la musique ou aussi des stages linguistiques, des stages d'été en flamand. Donc, ça a été présenté comme solution contre le mépris des Wallons envers le flamand.

SDK : Bien, bien, oui.

DH : Si on parle déjà des méthodes d'apprentissage, j'aimerais vous poser aussi la question : est-ce que vous connaissez des méthodes, des initiatives, qui sont peut-être déjà présentes à Bruxelles, par exemple, ou peut-être aussi en Flandre, qui pourraient être largement adoptées en Wallonie pour aider à mieux apprendre les langues ou la langue du voisin ?

SDK : Là, je ne m'y connais pas trop bien. Je ne peux pas te dire grand-chose. Je sais qu'il y a des gens par exemple qui travaillent aussi sur la tussentaal. Ça, c'est aussi un point important parce que, quand même, il y a encore toujours des dialectes flamands qui persistent parmi les Flamands. C’est un phénomène intéressant, la tussentaal. À mon avis, on pourrait aussi en parler donc dans l'enseignement.

DH : Est-ce que ça c'est le dialecte standardisé flamand ?

SDK : Oui c’est ça. Mais qui est compris par tout le monde quelque part. C’est vrai qu’il y a de moins en moins ce « bon flamand ». C'est ce qu'on m'a raconté, du moins. C’est toujours cette tussentaal.

DH : D'accord. Il y a aussi la voix d'immersion qu'on pourrait suivre. Donc est-ce que cela devrait être un peu plus privilégié en Wallonie ?

SDK : Oui, ce serait une bonne idée aussi. Mais si on parle d'immersion, à mon avis, il faudrait quand même que les élèves aient d'abord été en contact un petit peu avec le flamand à l'école pour ensuite – ou alors il y a l'immersion directe. Je sais qu'il y en a qui mettent leurs enfants dans le système flamand alors qu'ils sont francophones.

DH : Mais, je sais qu'il y a parfois des doutes par rapport au niveau de français, si les francophones mettent leurs enfants dans des écoles flamandes ou s’ils les mettent en immersion, ça pourrait peut-être nuire à leur niveau de français ou leur capacité de s'exprimer. Je ne sais pas ce que vous en pensez.

SDK : Oui, de fait, parce que c'est vrai qu’ils ne sont pas en contact avec des nouvelles réalités, par exemple. Il y a tout ce discours. Donc, oui, ça peut arriver. Moi, je suis plutôt partisane d'un système où il y a certains cours en immersion, par exemple les cours d'histoire, les cours de géographie... Ça se fait déjà dans certaines écoles qui sont privilégiées. Mais bon, ce n'est pas possible à tous les niveaux. Il faut beaucoup d'argent. Il faut des professeurs qualifiés aussi. C'est un autre problème. Je crois qu’il manquerait 350 professeurs pour pouvoir organiser ces cours à partir de la troisième primaire.

DH : Oui, effectivement, la pénurie de professeurs est toujours un grand défi, surtout quant à la mise en œuvre de cette mesure. Pensez-vous qu’un échange de professeurs entre (les professeurs de néerlandais de) la Flandre et (les professeurs de français de) la Wallonie pourrait être une solution réaliste ? Parce que c'est souvent présenté comme solution dans les articles que j’ai analysés.

SDK : Ce n'est pas réaliste parce qu'en fait, en Belgique depuis maintenant quelques années, il y a les vacances scolaires qui sont à différents moments, ce qui pose aussi problème par exemple, quand une famille a plusieurs enfants. S’il y a, par exemple, un enfant qui est dans le système flamand et l'autre enfant dans le système francophone, ils ne peuvent même plus prendre des vacances en même temps. Oui, c'est une bonne idée, mais il y a aussi l'autre problème de la pénurie de professeurs de langue qui existe aussi du côté flamand, pas seulement en Wallonie. Et donc oui, bonne idée, mais comment concrétiser les choses pratiques ? Ce qu’on a remarqué c’est que la plupart de nos étudiants germanistes[1] ne se destinent plus à l'enseignement, ils sont très rares. Je dirais que sur dix étudiants qui faisaient les germaniques dans le temps, il y en avait au moins huit qui se destinaient à l'enseignement mais maintenant dans les dix, on en a peut-être un qui est motivé, qui souhaite enseigner. Il y a déjà cette pénurie d'enseignants à un niveau courant mais alors maintenant avec ce nouveau projet, on ne sait pas où ils vont trouver des enseignants. Oui, il y a des mesures. Je sais que Madame Désir[2] parle de reconnaître l'ancienneté des enseignants s’ils proviennent d'un autre système scolaire, du système laïque par exemple. Je doute, que ce soit faisable.

DH : Donc si on veut déjà entamer l'apprentissage du néerlandais dès la troisième primaire, ça veut dire que l'anglais serait repoussé encore à plus tard, donc à partir de la première secondaire. Donc que pensez-vous de l'introduction de l'anglais si tard ? Est-ce que vous pensez que c'est un moment de départ suffisant ou est-ce qu’il serait préférable de commencer un peu plus tôt ?

SDK : Alors, ce qu’on pourrait imaginer, c'est de commencer avec le néerlandais en troisième année et par exemple en cinquième année avec l'anglais. Mais de toute façon, moi je privilégierais ce qui est prévu, donc, ce serait de commencer avec le néerlandais parce que de toute façon– il faut être clair – on est tous en contact avec l'anglais de manière indirecte, que ce soit par la musique, les chansons, les films, tout ce qui est autour de nous, beaucoup d’affiches. Donc, ce serait bien par exemple de commencer en troisième avec le néerlandais, mais d'abord le néerlandais et alors après, par exemple en cinquième année, avec l'anglais, ce serait aussi une possibilité.

DH : Donc vous estimez que c'est un peu trop tard alors de commencer [l’anglais] en secondaire seulement.

SDK : Oui. Je sais qu’en Allemagne, ils essaient de commencer plus tôt avec l'anglais, déjà au niveau de l'école maternelle, donc il y aurait aussi des possibilités de ce type-là. On pourrait imaginer commencer en deuxième année avec le néerlandais et puis en quatrième année, par exemple, avec l'anglais. Ça c’est mon opinion personnelle. Comme je dis, est-ce que c'est praticable ? Est-ce qu’on a des outils ? Est-ce qu'on a ce qu'il faut pour faire cela ? Je ne crois pas.

DH: Quelles différences observez-vous dans l'enseignement du néerlandais entre la Wallonie et Bruxelles si vous êtes au courant de ça ?

SDK : Oui, un petit peu. À Bruxelles, je crois que les gens comprennent qu'il y a une nécessité d'être bilingue. Donc, ils sont peut-être beaucoup plus disposés à apprendre une autre langue tandis qu’en Wallonie, là c'est non, c'est le français par-dessus tout et on « n'a pas besoin du néerlandais », etc. Alors je ne sais pas au niveau des emplois.

DH : D’accord, une autre question à ce sujet que j'ai déjà mentionnée un peu plus haut. Je ne suis pas sûre si c'est le cas dans toutes les écoles wallonnes, mais d'après quelques sources, j'ai appris qu’on apprend plutôt le néerlandais des Pays-Bas et non pas le flamand.

SDK : Oui.

DH : Donc le flamand. Est-ce que cela a des effets ? D'abord peut-être sur l'apprentissage du néerlandais et deuxièmement sur la cohésion intra-belge, soi-disant.

SDK : Alors, si on compare le néerlandais des Pays-Bas et le flamand standard, le beau flamand, c'est un peu comme le français de Belgique et le français de France, tu vois ?  Si tu connais le néerlandais des Pays-Bas, tu vas pouvoir t'exprimer en flamand sans doute sans gros problèmes. Donc là, je ne crois pas que ce soit un problème, mais ce serait intéressant d'avoir quelques connaissances de la tussentaal, comme je disais tout à l'heure. Ça, c’est vraiment la langue qui est parlée en Belgique. Ce n'est pas la langue écrite. Ce qui présuppose naturellement à nouveau qu‘on ait des professeurs de néerlandais qui soient au fait de tout cela et, de préférence, qu'ils soient des natifs du flamand. Là aussi, je ne vois pas très bien parce qu'en fait, les diplômes ne sont pas nécessairement reconnus.

DH : Je vois. Donc ça rend les choses encore plus compliquées. On a besoin des professeurs mais on ne facilite pas les choses pour qu'il y ait plus de profs.

SDK : Pas vraiment. Donc, en fait, il y a la communauté francophone et la communauté flamande et c'est à ce niveau-là que les décisions sont prises. Mais elles sont prises pour la communauté en particulier et non pas pour qu'il y ait des échanges. On met un peu des bâtons dans les roues.

DH : Oui, et je crois qu’un facteur qui empêche aussi un peu le progrès c’est le côté flamand. J'ai appris que l'ancien ministre de l'Éducation flamande Ben Weyts voulait que les élèves parlent uniquement le néerlandais dans les écoles flamandes même si c'est dans la périphérie bruxelloise où beaucoup d'élèves parlent le français comme langue maternelle, pour restreindre peut-être un peu l'accès des écoles flamandes aux francophones. Donc je me demande comment cette restriction du français en Flandre pourrait influencer ce contexte.

SDK : Oui, alors si en tant que francophone tu veux habiter dans des communes flamandes, tu dois passer un test de flamand. Si on a des attitudes comme ça, extrémistes, à ce moment-là, ça n’aura pas une influence positive pour qu’on apprenne la langue de l'autre.

DH : Donc, c'est plutôt une évolution contre ce qui se passe en Wallonie en ce moment.

SDK : Oui.

DH : C’est dommage.

SDK : C'est très dommage. Il faut dire aussi qu’il y a toujours la question commerciale, la question économique. C’est la Flandre qui est forte au niveau économique. Parfois ils en ont assez de soutenir la Wallonie au niveau économique. Ca allait très bien au niveau économique [en Wallonie] quand il y avait les charbonnages. C'est comme dans la région de la Ruhr. Maintenant, ils sont fermés. Il y a déjà très, très longtemps que l’époque de l’essor wallon est terminée. Donc voilà, la Wallonie aujourd’hui a une économie plus faible que l'économie flamande et donc les Flamands en ont assez de soutenir les Wallons. Ça joue aussi un rôle dans le discours politique.

DH : C’est ça. Ça m'emmène vers ma prochaine question. Sur l'image entre les deux populations belges donc. Comment décririez-vous l'image du néerlandais ou du flamand auprès des wallons et celle du français auprès des Flamands ?

SDK : C'est ce que je disais tout à l'heure déjà. Donc pour les francophones « on n'a pas besoin du flamand […] On n’a pas besoin de cette langue ». A l’origine une grande majorité de Flamands étaient plutôt des paysans. Il y a encore tout ça qui joue un rôle. Alors, par contre, les Flamands ils ont cette idée que les francophones ne sont pas ouverts à d'autres cultures. Ce qui est intéressant aussi c'est que quand moi je vais par exemple à des colloques en linguistique et qu’il y a des représentants de mon pays, il faut le dire clairement, c'est souvent les Flamands qui sont là. Donc j'ai beaucoup de collègues flamands finalement avec qui je travaille aussi. Ils savent qu’il faut s'ouvrir vers l'international etc. Le francophone, par contre, est surtout dirigé vers la France.

DH : Mais est-ce que vous pensez que les Flamands développent peut-être aussi un certain mépris vers le français. Ils ne veulent plus l'apprendre, ils valorisent plus l'anglais ou c'est plutôt le cas en Wallonie mais pas en Flandre ?

SDK : Un petit peu en Flandre aussi avec les extrémistes qui ont quand même un poids politique. « C'est le flamand par-dessus tout », « Les francophones, on doit les traîner quelque part », « On n’a pas besoin des francophones ». C'est surtout un aspect politique et économique.

DH : Et est-ce que vous pouvez penser à des raisons pour lesquelles le flamand est un peu plus ouvert vers l'international et le wallon reste un peu dans le monde francophone ?

SDK : Peut-être justement puisque les Flamands proviennent à l'origine […] - Comment dirais-je ?  - c'était les classes sociales moins élevées. Ils ont dû s'ouvrir à l'international, donc je crois que ça joue aussi un rôle.

DH : Merci, c’est très intéressant d'avoir cette perspective. Alors, est-ce que vous pourriez penser aussi à des initiatives ou à des facteurs qui pourraient améliorer un peu la relation entre les deux ou l'image que les deux ont de la langue de l'autre ?

SDK : Il faudrait plus d'actions. On avait par exemple un professeur de linguistique néerlandaise chez nous, qui allait dans les écoles. C'était une action généralisée chez nous, à Saint-Louis, où on disait, on va aller donner des cours, mais des cours un peu ouverts sur des thématiques culturelles, des choses qui étaient plus intéressantes pour répondre un peu à la question « Le néerlandais, à quoi ça sert ? ». Et donc ce professeur-là allait faire des petites conférences dans des écoles. Je trouvais cela une belle action. Il disait qu'il y avait du répondant de la part des élèves qui, tout à coup, découvraient des aspects qu’ils ne connaissaient pas. Il arrivait vraiment avec des choses positives de l'autre culture. C’est comme j'ai dit, la langue passe toujours aussi par la culture et donc il faut montrer les beaux côtés de cette culture. Mais bon, ça demande beaucoup de temps. Ce professeur, il allait peut-être seulement deux, trois fois par an dans des écoles parce qu’on a encore autre chose à faire à côté de ça. Mais je crois que ce sont des petites activités positives. Au niveau sportif, il y a certainement aussi moyen de faire des choses.

DH : Il faudrait peut-être plus d'acteurs dont leur seul rôle est ça, donc vraiment d’agir en tant que médiateur entre les deux communautés.

SDK : C’est ça. Encore un autre exemple, mais c'est par rapport à l'allemand. L’année dernière, on m'a demandé de faire une présentation à la célébration de remise des diplômes à Saint-Louis. Mais ça ne devait pas être trop académique, trop scientifique parce que le public qui est là, ce sont les parents, les grands-parents avec les étudiants qui reçoivent leur diplôme. J'ai fait quelque chose au niveau culturel. Donc là aussi, c'étaient les différences culturelles entre le français et l'allemand.  J'ai montré un tas d'aspects, par exemple la Schultüte, qu’on ne connaît pas en Belgique. Alors j'essaie de montrer un peu le beau côté, la période de l'Avent en Allemagne, qui est incroyable. Après la présentation, j'ai vu les étudiants et les parents etc. qui me disaient « C'est formidable ! Je vais m'inscrire à vos cours ! Mais comme c'est beau ! On a appris des tas de choses sur la culture allemande qu’on ne connaissait pas ! » Il faut dire qu’en Belgique la culture allemande n'a pas nécessairement une bonne réputation. Quand on demande « Qu'est-ce que tu connais de l’Allemagne ? » C'est souvent : les Lederhosen, la bière, Hitler, la saucisse, les saucissons, des trucs comme ça. Mais tous les beaux aspects sont complètement méconnus. Et ça c'est très, très dommage. C'est vrai qu'en Allemagne, il y a beaucoup de traditions que je trouve très belles qu'on n’a pas en Belgique, comme « quand est-ce qu'on met le sapin de Noël ».

DH : C’est intéressant, cette petite anecdote. Revenons maintenant à ce rôle de médiateur. Je me suis demandé si la région de Bruxelles, qui est quand même bilingue et un peu entre les deux [régions], pourrait peut-être jouer un rôle justement de médiateur entre la Flandre et la Wallonie et pourrait peut-être aider à la cohésion.

SDK : Oui, mais dans quel sens, dans quelle mesure ? C’est ça aussi, la grande question. Je ne vois pas très bien comment. C'est vrai qu'il y a quand même un clivage entre les cultures, mais il y a toujours cette influence politique, l'influence économique, etc.  Je ne vois pas trop, tu as une idée peut-être ?

DH : Je ne sais pas exactement comment ça se passe à Bruxelles parce que je me suis plus penchée sur la Wallonie. Mais s'il y avait des leçons qu'on pourrait tirer de l'apprentissage du néerlandais ou justement qu’il y a beaucoup plus de parents francophones qui mettent leurs enfants dans des écoles flamandes. Cet intérêt est peut-être plus présent là-bas.

SDK : Oui, ou comme je disais, ce que je trouve vraiment bien ce sont les cours en immersion donc les cours généraux en immersion, par exemple, l'histoire, la géographie etc. Et là, à mon avis, ce serait une belle leçon pour la Wallonie, depuis Bruxelles. Mettre ses enfants complètement en immersion, ça ce n’est quasi pas faisable, puisque quand on habite en Wallonie, par exemple à Liège, je suppose qu'il n’y a pas vraiment d'école flamande où je peux mettre mes enfants, tu vois ?

DH : Oui, c’est vrai. Quand vous avez proposé de faire une immersion partielle, ça m'a rappelé le système qu'on a en Allemagne, le Abi-Bac, qui est entre la France et l'Allemagne. Il y en a dans mon cursus aussi qui l'ont fait. Donc ils ont eu justement histoire-géo en français, par exemple. Ce sont des matières où on apprend un vocabulaire élargi, donc ce serait vraiment une bonne idée de le mettre aussi en œuvre.

SDK : Oui, ce serait vraiment bien. Mais comme je l’ai dit, il faut des moyens, il faut de l’argent. Je crois qu’il y a un budget qui est prévu, j’ai vu 150 millions, je crois. Et il y a des mesures en parallèle, comme de réduire le nombre d'élèves dans les classes, donc de les réduire à 18. Je suppose que tu as vu cela aussi ? Ça veut dire qu’il y a deux mouvements : donc si on réduit le nombre d'élèves dans les classes il faut plus d'enseignants. Il faut des enseignants maintenant pour les langues étrangères, donc ce n'est pas si simple. Je ne crois pas que ça va passer, mais bon. Il faut rester optimiste.

DH : Peut-être qu’il faudra plus de mesures extrascolaires, donc comme j'ai dit, des stages linguistiques pendant l'été, etc. Mais il faudra peut-être soutenir ça financièrement parce que sinon il n'y aura pas tous les parents qui pourraient proposer ça à leurs enfants. Parlons maintenant du rôle de l'allemand dans ce discours. Vous avez déjà dit que ça joue un rôle moins important. Donc comment percevez-vous alors dans ce contexte la place de l'allemand dans ce débat ?

SDK : Alors, dans les écoles, on a supprimé l'apprentissage de l'allemand au niveau secondaire de toute façon. Il y a très peu d'écoles à Bruxelles qui proposent l'allemand. C'est toujours en faveur de l'espagnol, ce qui est très triste. L'argumentation « Oui, mais on parle l'espagnol dans toute l'Amérique du Sud et pas seulement là », « On a aussi des contacts économiques, c'est important », etc. L'allemand n'a pas une bonne réputation non plus au niveau de l'apprentissage. L’allemand, dit-on, est difficile à apprendre. Il y a les cas grammaticaux, ce qui n'est pas le cas avec l'espagnol. Bon, en espagnol, par exemple, ce qui est très difficile, ce sont toutes les formes des temps verbaux. C'est un discours qu'on entend très souvent. Mais l'allemand a une place en Wallonie puisque la communauté germanophone est associée à la communauté wallonne. Mais je trouve qu’l est important d'apprendre aussi le néerlandais. Enfin, si c’est au fin fond de la Wallonie, alors je comprendrais qu’on propose soit le néerlandais soit l'allemand. Mais je dirais que dans des grandes villes comme Liège, par exemple, là d'abord le néerlandais et l'allemand en plus.

DH : Surtout parce que Liège ça s'approche aussi de la Communauté germanophone et de l'Allemagne. Je crois qu’il faut seulement 30 minutes en train pour aller à Aix-la-Chapelle. Mais la réalité c'est qu’en 2022 seulement 2% des élèves ont choisi l'allemand contre, je crois que c'était 30% pour le néerlandais et 68% pour l'anglais, donc c’est sur le point de disparaître, on pourrait dire. Pensez-vous que la faible population de la communauté germanophone justifie ce peu d'importance accordée à l'allemand ?

SDK : Oui, ça aussi. Et puis ce qu'il y a aussi c'est que […] la communauté germanophone est une communauté qui est intégrée à la communauté wallonne et s’est adaptée, ce qui n’est pas le cas de la communauté flamande.

DH : Si on ne parle pas l’allemand, ça ne met pas en danger l’union du pays.

SDK : Non, non. Ce qu’il y a aussi c’est que les habitants de la Communauté germanophone parlent tous le français, donc quelque part, ce n'est pas un problème.

DH : Mais eux aussi, ils devraient peut-être aussi s'orienter un peu vers le flamand, comme toute la Wallonie.

SDK : Oui !

DH : Donc, on arrive un peu vers la fin de cette interview. Vous avez déjà dit que vous ne croyez pas trop en cette mesure, mais je vais quand même poser cette question. Pensez-vous que cette mesure proposée par l'ancienne ministre Caroline Désir aboutira réellement, sachant que l'horizon était initialement fixé à la rentrée 2027-2028 et que le nouveau gouvernement s'est montré quand même favorable à la continuation de cette mesure ?

SDK : Bon, j'espère que ça va aboutir parce que c'est vraiment un besoin. Restons positif, je crois que ça va aboutir, mais comme je dis, le gros problème, c'est la pénurie d'enseignants. Où va-t-on trouver des enseignants ? Ou alors le problème du financement. Les budgets, comment seront-ils répartis ? Donc là, je ne sais pas trop bien, mais restons positif. Oui, j'espère vraiment que ça va aboutir. C'est vrai qu’on a quand même quelques années devant nous pour réaliser tout cela, pour concrétiser le tout. Fingers crossed ! (rit)

DH : Un autre aspect qui est un peu en dehors de cette question mais qui représente un aspect important dans mon travail c'est le rôle des médias dans ce discours. Je ne sais pas si vous avez suivi tout ça dans les médias, mais si vous êtes au courant, selon vous, est-ce que le discours de la presse quotidienne francophone reflète-il bien le discours dans la Wallonie, donc l'opinion publique ?

SDK : C'étaient surtout des interviews, avec Caroline Désir qui parlait de son projet. Ce que je trouve bien avec elle, c'est qu'elle a une attitude assez positive vis-à-vis des choses. C'est quelqu'un qui reflète un certain optimisme. Alors, ce qu'il y a aussi, c'est qu’on a essayé de faire parler des chercheurs ou des gens qui soutenaient aussi cette idée en disant « Oui c'est important », etc. Mais je n'ai pas vu grand-chose de négatif. Je ne sais pas si tu as vu des articles négatifs. Donc là, ça c'est quelque chose de positif. J’ai vu aussi une autre interview avec un Flamand qui disait que ce serait bien de faire un échange de professeurs. Il y a quand même des idées qui peuvent germer qui vont, j'espère, aboutir. Mais comme j’ai dit, il y a des problèmes pratiques. Il y a beaucoup de très bonnes idées, mais c'est surtout la faisabilité, la praticabilité de ces idées. En Suisse, ça fonctionne beaucoup mieux avec le multilinguisme, par exemple. Quoique là aussi, ce qui est intéressant, c'est que la communauté francophone connaît très peu l'allemand. Donc il y a, quelque part, une espèce de dominance du français à dire « Je n'ai pas besoin des autres langues ». Ça semble un peu triste et je n'aime pas cette attitude, disons, francophone.

DH : Donc, si j'ai bien compris, vous dites que le discours dans la presse est un peu plus positif envers la mesure que ce qui se passe réellement dans la société.

SDK : Oui, je suis beaucoup en contact avec des gens qui sont pro-plurilinguisme. Et dans ma famille aussi, tout le monde apprend le néerlandais. C’est presqu’une banalité, je dirais. Je ne suis pas représentante des francophones. Je suis, comme mon papa, un zinneke. (rit). Donc, dans ma famille, tout le monde apprend le néerlandais parce qu'on voit bien la nécessité. On habite dans un pays qui est quand même multiculturel, donc c'est normal qu’on apprenne l’autre langue.

DH : Oui, mais j'imagine que ce n'est pas le cas pour tous les Wallons qui pensent comme ça.

SDK : Non, non, au contraire.

DH : Je me suis aussi demandé si le fait que la majorité des journaux diffusés en Wallonie sont dirigés par des acteurs bruxellois a peut-être aussi un impact sur ce discours. Pourriez-vous penser si c'est le cas ou pas.

SDK : Alors, je ne peux pas dire grand-chose. Ça dépend si ce sont les grands journaux nationaux comme Le Soir, etc. Mais il y a aussi des journaux des régions par exemple, Nord Éclair. J'imagine qu’ils tiennent un autre discours. Est-ce qu'ils en parlent même, c'est la grande question. Mais tu es peut-être plus au fait que moi ?

DH : Justement, je me suis renseignée et je sais que, dans le paysage médiatique, il y a surtout les deux groupes Rossel et IPM qui détiennent les journaux en Wallonie, ou la majorité. Les deux ont leur siège à Bruxelles. Ils sont dirigés par des Bruxellois. Ce que vous venez de dire sur les journaux régionaux, il y a le groupe Sudinfo ou Sudmedia qui est aussi une société de Rossel.

SDK : Ah oui.

DH : Donc tout ce qui est avec Sudinfo, c'est la Nouvelle Gazette, à titre d’exemple. Donc je me suis demandé si même à l'échelle régionale, il y avait un peu une dictée par Bruxelles. Je ne sais pas.

SDK : Bon, ça je ne sais pas non plus, mais il faudrait regarder les articles de presse directement et voir un petit peu dans quel sens ça va. En fait, ce que moi j'ai vu comme articles, c'était assez positif.

DH : Oui. Et je me suis demandé si la voix wallonne n’était peut-être pas représentée parce qu'il y a plus de Wallons qui ont un avis négatif à ce sujet, ce qui n’est pas visible dans la presse. Ce n’est pas étonnant vu que la presse est possédée par "Bruxelles". Bruxelles est déjà multilingue, donc bien sûr qu’ils ont un avis plus positif ce sujet.

SDK : Oui, je crois bien. Ce n’est peut-être pas mal non plus qu’il y ait une certaine influence depuis Bruxelles (rit) par rapport à ce décret. Les [Les Wallons] faire bouger, ça ne va pas être si simple.

DH : J'espère quand même pour la cohésion de la Belgique que cette mesure va aboutir. Peut-être avec quelques modifications mais que ça va réussir et que les Wallons apprennent plus de flamand quand même.

SDK : Oui, j’espère.

DH : Alors, j'aimerais bien résumer quelques points clés de cette interview. On a parlé de votre perception du rôle du néerlandais au sein de la société wallonne et aussi l'inverse, et comment on pourrait améliorer cela. Nous avons aussi discuté des nouvelles mesures politiques, si elles sont réalistes ou pas, quels sont les défis, quels sont les avantages possibles. Et également la place de l’allemand dans ce discours. Enfin, il était question de déterminer le rôle des médias dans ce discours. Enfin, j'aimerais bien vous poser la question s’il y a encore un sujet ou une idée supplémentaire que vous aimeriez partager en lien avec cette discussion, en lien avec l'apprentissage des langues en Wallonie ? Vous n'êtes pas obligée, bien sûr.

SDK : Oui, ce que j'avais encore noté ici, c'était aussi – tu sais qu’il y a des voyages scolaires qui sont organisés, ce serait peut-être encore une idée ou bien des excursions comme ça à la journée. Sinon, cette grande idée que la langue c'est vraiment l'identité. Il n’y a pas nécessairement des raisons pratiques à connaître la langue de l'autre, mais aussi des raisons personnelles. Le Belge évolue un petit peu aussi, je trouve. Parce que le Belge est souvent dans son petit cocon. (rit) […] La Belgique est un petit pays. C'est un petit pays où il fait bon vivre. Les gens sont sympathiques. Les gens sont très ouverts. Ça, oui. Mais c’est vrai qu’ils ont quand même une certaine limite dans leur horizon, mais ceci est une opinion tout à fait personnelle.

DH : On arrive maintenant à la fin de notre interview. Je vous remercie énormément d’avoir pris autant de votre temps aujourd’hui.

SDK : J'ai raconté tellement d'anecdotes ! (rit)

DH : Oui, mais c'est ça qui le rend très intéressant pour moi, les exemples.

SDK : Alors, bonne continuation et que tout aille bien et n'hésite pas si tu as encore des questions ou bien si tu n’es pas tout à fait sûre pour quelque chose, tu me recontactes, ça va ?

DH : Merci beaucoup et bonne continuation à vous aussi et je vous souhaite une bonne journée !

SDK : Au revoir, Dorothea !

DH : Au revoir et bonne journée !

 

 

 

Références

[1] Ce qui comprend les études de deux langues germaniques, au choix parmi les trois langues germaniques proposées (le néerlandais, l’anglais et l’allemand).

[2] L’ancienne ministre de l’Éducation de la Fédération Wallonie-Bruxelles.